Une longue discussion se fit avec Hugues et Sonia apprit que cela faisait un moment qu'il s'était aperçu de ce manège mais que quand il avait interrogé les filles, elles avaient toutes nié en bloc les faits. Puis il y eu Madeleine qui avait été arrêtée et là, impossible pour lui de la protéger : trop de preuves contre elle et la police voulait vite étouffer cette affaire.  

Si les filles ne se souvenaient pas avoir commis des délits durant la nuit, Sonia trouvait logique qu'elles aient nié mais cela n'expliquait pas comment la butin a été retrouvé sous l'oreiller de Madeleine et que celle-ci ne s'en soit pas aperçue.

D'ailleurs, où mettaient-elles le fruit de leurs larcins ? Elle n'avait rien vu d'étrange dans leur chambre...

- J'ai déjà pensé à les enfermer à clé mais elles arrivent à sortir quand même. Cette situation me dépasse...

- Je peux comprendre. Il n'y a rien de plus angoissant que de voir ses enfants suivre une voie comme celle-ci...  

Puis ils entendirent une porte s'ouvrir, signe que les filles étaient de retour. Dix minutes plus tard, Camille fit son apparition et se servit dans le frigo comme si de rien n'était.

- C'est à cette heure-là que tu rentres ?

- T'es myope ou quoi ? J'étais dans mon lit à faire la grasse matinée !  

Très mauvaise approche. Camille allait encore plus se braquer contre lui...

- Prends-moi pour un...

- On se calme par ici. Hugues, il me semble que vous avez un article à finir.

- Il est déjà fini.

- Alors relisez-vous avant d'aller le rendre et chercher un sujet pour le suivant.  

Hugues hésita avant de céder et d'embarquer avec lui une tasse de café fumante. A présent, Camille devrait être plus facile d'accès pour elle.

- As-tu des problèmes ma chérie ? Je n'en parlerai pas à ton tuteur...

- Je ne suis pas sortie cette nuit... je crois.  

Les deux derniers mots avaient été prononcés faiblement mais vu comme Camille fronçait les sourcils, elle essayait visiblement de se rappeler ou de comprendre quelque chose...  

- Tu ne t'en souviens pas ?

- ... Je vais aussi finir comme Madeleine ? Derrière les barreaux ?

- Mais non ma puce...

- Je comprends pas...   

Camille luttait pour ne pas pleurer, cela se voyait. L'instinct maternel de Sonia la poussa à lui poser une main sur le bras avec tendresse. L'adolescente ne la rejeta pas.  

- Cela restera entre nous ma chérie. Dis moi ce qui te tracasse.

- ... En fait, je me souviens un samedi soir de m'être levée car j'avais envie d'aller... Vous voyez quoi.

- Continue.

- Ce que je n'ai pas saisi, c'est que j'ai touché la poignée de la porte de la salle de bain... puis je me suis réveillée dans mon lit. J'ai cru avoir rêvé mais... j'en suis plus si sure depuis qu'ils ont emmené Madeleine.  

Des souvenirs qui manquaient à l'appel donc. Camille aurait été en train de dormir, elle ne s'en serait pas aperçue, ce qui laissait penser à Sonia que l'antenne était la solution la plus proche à cette énigme.  

- Te rappelles tu d'autre chose avant ton réveil ?

- Ben... J'en suis pas sure mais j'ai cru entendre comme un sifflement dans mes oreilles...   

Un sifflement ? Il faudra qu'elle communique cela à Geoffrey des fois que mais avant...  

- Tu as fait tes devoirs pour demain ?  

Vu la manière dont Camille détournait le regard, le réponse était certainement négative. Sonia lui offrit de l'aider une fois qu'elle serait habillée, une proposition qui sembla convenir à la jeune fille vu qu'elle revint au bout de dix minutes habillée et avec ses devoirs de lycée.

- Je déteste les maths...

- Je n'étais pas bien mieux que toi à ton âge tu sais. Voyons cela...  

Outch... Dans ce genre de cas de figure, son cher Vladimir aurait trouvé la réponse en un instant. Cependant, Sonia ne pouvait pas compter sur lui et elle fit de son mieux pour aider l'adolescente. Quand elle sortit ses affaires d'histoire, Sonia se sentit plus à l'aise car cette matière était bien moins compliquée à ses yeux. Réexpliquer certains points importants à Camille l'aida à mieux comprendre son cours.  

C'est au moment où elles s'attaquaient au français que Blanche et Lacey vinrent prendre leur petit-déjeuner.

- Bonjour tout le monde !

- Salut les filles.

- Heu... C'est quelle matière ?

- Le français.   

Seule Lacey restait silencieuse, prenant soin d'ignorer la conversation. Sonia ne savait pas trop comment réussir à l'approcher...  

- Vous avez fait vos devoirs les filles ?

- Plus ou moins on va dire...

- Lacey ?  

Pas de réponse. Sonia jugea qu'elle ferait mieux de ne pas insister et laissa la jeune fille quitter la table une fois son repas fini.

Comment arriver à passer au travers de l'épais mur qui entourait Lacey Smith ? Toute seule, Sonia allait mettre un temps fou et si elle tardait trop, une autre de ces filles risquait de se faire arrêter voire pire. Elle allait devoir procéder différemment si elle voulait arriver à enfin pouvoir parler avec elle.  

En gros, elle aura besoin de l'aide de la seule personne du foyer qui n'était pas bien compliquée à comprendre : Blanche Primavera. Vu que celle-ci n'était pas très studieuse, peut-être aimera-t-elle les travaux manuels, raison pour laquelle Sonia lui acheta un établi. Elle constata vite qu'elle avait visé juste.

 

 

Blanche s'essaya avec plaisir à travailler le bois et la remercia chaleureusement pour ce cadeau. Puis Sonia lui demanda ce qu'aimerait les autres filles...

 

- Camille est un peu girouette donc je sais pas trop mais pour Lacey, c'est très facile.

 

Et Blanche lui révéla ce qu'était le passe-temps de sa camarade...

Sonia avait réussit à créer un lien avec Blanche, la plus facile à vivre des trois filles. A force de discuter, elle comprit pourquoi l'endroit était meublée de façon disparate : tous les meubles avaient été récupérés au hasard et seule la cuisine avait été acheté par Lisa Mercante du temps où elle gérait le foyer. Ceci expliquait donc le manque de cohérence et de fonctionnalité à certains endroits du foyer.  

Ce soir-là, Sonia s'affairait à préparer un plat de viande avec la sauge ramenée par Blanche pour le lendemain quand elle entendit un bruit étrange.

C'était samedi soir et il était presque minuit. Les filles étaient-elles encore debout ou Hugues travaillait-il sur un article ? Lorsque le bruit se fit de nouveau entendre, elle comprit que cela venait du côté des filles. Sonia vérifia donc qu'elle pouvait laisser ses préparations sans surveillance et alla jeter un œil à la chambre des filles. Elle frappa deux faibles coups à la porte avant d'entrer...

... et constater que la pièce était vide. Où étaient passées les filles ?  

Une bouffée d'inquiétude saisit Sonia qui alla vérifier la porte donnant sur la terrasse : elle était mal fermée. Elle prit ensuite une lampe torche et avec le faisceau de la lampe, vit sur la palissade de bois entourant la terrasse des traces de chaussures indiquant qu'elle avait été escaladée. Les filles s'étaient fait la malle...  

Sonia se dépêcha de sortir pour aller à leur recherche mais face à trois adolescentes légères, agiles et en pleine forme, elle risquait d'avoir du mal à les rattraper avec ses kilos qui la ralentissait et qui étaient difficiles à supporter dans une région comme Oasis Springs.   

Cependant, après une bonne heure à essayer de les pister, elle les retrouva dans un quartier aisé...

... plus précisément devant une maison que Sonia suspectait d'être inoccupée. Jugeant plus prudent de rester à distance, elle sortit une paire de jumelles à vision nocturne de l'agence et put vite constater que les trois filles préparaient un mauvais coup : Lacey et Camille escaladaient le portail tandis que Blanche semblait monter la garde. Toutes les trois portaient un masque sur la bouche et étaient vêtues de noir.

A la gestuelle de Lacey, celle-ci était en train d'indiquer quoi faire à Camille. Quelques secondes après, Lacey forçait la porte d'entrée et toutes deux pénétraient dans la demeure pour en ressortir cinq minutes plus tard avec chacune un sac contenant certainement des biens qu'elles avaient dérobés.   

Cependant, Sonia trouvait cela anormal... Un truc ne collait pas et c'est en observant Blanche, celle qu'elle voyait le mieux, qu'elle mit le doigt dessus.

L'attitude des filles n'était pas conforme et, vu le regard de Blanche, c'était comme si elle était sous l'emprise de quelque chose. Elle ne pouvait pas en être sure pour Camille et Lacey mais si les filles étaient sous hypnose ou même victime d'un sérum semblable à celui qui l'avait drogué elle et Bettany quelques temps auparavant, alors cela expliquerait que Madelaine ne se souvienne pas d'avoir commis ces délits.   

Puis les filles s'en allèrent très vite et Sonia, bien qu'inquiète, jugea préférable de ne pas continuer d'essayer de les suivre car elle se fera distancer à coup sûr. Le plus sage était de retourner les attendre au foyer en espérant qu'elles ne reviendraient avec des menottes aux poignets.  

Sur le trajet du retour, elle envoya à Geoffrey ses suppositions et demanda quels moyens existaient pour contrôler une personne.

La réponse lui vint via un message de Bettany :   

"Salut ma belle ! Le sérum dont je t'ai parlé est très efficace sur n'importe quelle personne mais encore faut-il arriver à le lui faire prendre et être à côté pour donner les ordres voulus. Au labo, on utilisait une antenne pour influencer ceux qui s'approchaient de trop près ou attirer les extraterrestres. Je vais voir avec ton boss si quelqu'un a poussé ses travaux un peu trop loin.  

PS : Qui est le sadique qui a créé autant de tests qui font mille pages chacun ?!"  

Puis le message s'effaça automatiquement. Sonia ferait donc mieux de chercher soit un récipient caché chez les filles, soit une antenne... elle espérait s'y mettre en rentrant mais su dès qu'elle eut passé le pas de la porte que cela ne serait pas possible : Hugues était debout et, en la voyant avec sa mine angoissée, il poussa un soupir dépité.

- Elles ont recommencé n'est-ce pas ?

- Vous le saviez ?

- Oui... et c'est pour cela que moi et Lisa nous sommes disputés et qu'elle est partie du jour au lendemain. Parce que je ne voulais pas aller voir la police.  

Sur ces mots, Hugues alla faire chauffer la machine à café en poussant un long soupir.

Une fois arrivée à Oasis Springs, Sonia se mit instantanément à souffrir de la chaleur étouffante qui y régnait en quasi permanence alors qu'il n'était que dix heures. Habituellement, elle supportait mieux que ça ces hautes températures mais elle se souvint qu'elle avait plus de 50 kilos de graisse qui recouvrait tout son corps... Cette morphologie n'était vraiment pas adaptée à ce climat.  

Elle se présenta à l'entrée du foyer et eut du mal à retenir un soupir de soulagement quand Hugues Mercante lui ouvrit et l'emmena à l'intérieur. Il ne faisait pas beaucoup plus frais c'était déjà bien plus supportable que l'extérieur.

- J'imagine Madame Bertrand que vous êtes venue pour l'annonce.

- Oui. Je vis seule depuis que mes enfants sont partis faire leur vie. J'ai quitté mon travail pour me consacrer à des œuvres caritatives.

- C'est vraiment très louable de votre part. Ca ferait un bon article pour mon travail.

- Oh ? Vous êtes journaliste ?

- Oui et seul, je ne peux pas gérer à la fois trois furies et ma carrière. De plus, il faut payer les factures vu que nous n'avons pas beaucoup d'aides financières.

- Je comprends oui. Mais n'est ce pas exagéré de qualifier ces jeunes filles ainsi ?  

A cette question, Hugues fit une grimace avant de jeter un œil à sa montre.  

- Vous ne devriez pas tarder à vous en apercevoir par vous même.  

Et quelques secondes plus tard, les trois adolescentes, fraichement déposées par leur bus scolaire, débarquèrent à l'intérieur en riant entre elles tout en jetant leurs sacs de cours sans trop faire attention à l'endroit où il allait atterrir.

Avec un soupir de dépit face au fait que les trois filles les ignoraient volontairement, Hugues les désigna une à une à Sonia.  

- Celle avec le t-shirt rose est Lacey Smith. C'est la seule du lot qui n'expose pas ses gambettes à tout va quand elle sort d'ici mais autrement, sa tenue vestimentaire est souvent aussi indécente que celle de ses camarades.  

De mémoire, Sonia se souvint avoir lu dans le dossier que Lacey avait été abandonnée enfant par son père, ce qui avait dû laisser des séquelles. Il était donc logique qu'elle se méfie des hommes.  

- Celle avec les cheveux noirs et bien courts, c'est Blanche Primavera. Rarement en train de faire ses devoirs et presque toujours en train de ramasser tout un tas de choses à l'extérieur.   

Concernant Blanche, elle n'avait jamais connu sa famille et avait donc été baladée de foyer en foyer à cause de sa tendance fugueuse. Le fait d'être avec des filles de son âge avait dû la motiver à rester ici.  

- La dernière, c'est Camille Tang. Mauvaise élève et ne range presque jamais derrière elle. Elle passe plus de temps à rêvasser ou sur son téléphone qu'autre chose.

Pour Camille, elle avait été adoptée à une époque mais ses parents adoptifs sont morts dans un accident de la route et personne n'avait voulu la récupérer. En conséquence, elle avait atterrit dans ce foyer.  

En résumé, Sonia devait réussir à établir le contact avec trois jeunes filles au passé difficile et qui, vu ce qu'il s'était passé avec Madeleine, devaient être très méfiantes vis-à-vis des adultes, surtout s'ils appartenaient aux forces de l'ordre. Cela n'allait pas être évident mais au moins, elle espérait ne ressembler en rien à une menace à leur yeux.  

Face au bazar que les filles avaient réussi à faire en peu de temps, Sonia entreprit de le nettoyer tandis que Hugues alla terminer son article qu'il devait rendre pour demain. Cependant, elle constata vite que les filles avaient effectivement bien compris la raison de sa présence...

- Tiens ? Le fouineur professionnel nous a collé un éléphant pour nous surveiller ?

- Ou une baleine.

- Pas faux Blanche !

Face à trois adolescentes qui étaient toutes minces, Sonia, avec son actuel embonpoint, aurait dû se douter qu'elle était bonne pour subir ce genre d'accueil. Cependant, vu la façon dont les filles riaient entre elle en la fixant, Camille et Blanche ne la considéraient pas comme une menace... mais elle constata le lendemain matin que ce n'était pas le cas pour Lacey. 

- Bonjour Lacey.  

Un regard emplit de méfiance lui fut servit en guise de réponse et les deux autres filles, occupées jusque-là à critiquer le fait qu'elle leur préparait des plats caloriques, se turent instantanément en voyant que leur camarade se montrait froide à son égard, un peu comme si elles avaient reçu un ordre silencieux.  

Sonia tenta de discuter un peu avec les filles ou de les faire parler mais elles se contentèrent de l'ignorer en mangeant silencieusement leur petit-déjeuner.

Il n'en fallut pas plus pour qu'elle comprenne comment ces trois-là fonctionnaient : Lacey était la chef de la bande et si celle-ci se méfiait de quelqu'un, les deux autres allaient en faire tout autant. Sonia ne fut donc pas étonné que Hugues et le lieutenant Padepo ne soient arrivés à rien vu que Lacey, de par son passé, n'avait aucune confiance dans les hommes.   

Si elle voulait réussir quoique ce soit avec ces filles, Sonia devait les prendre séparément et cerner leurs personnalités respectives. L'occasion se présenta assez vite quand Lacey et Camille réquisitionnèrent les deux salles de bains après qu'elle soit allée s'habiller, laissant Blanche seule devant la télé. 

- Tu veux que je te fasse quelque chose à manger pour ce midi ?

- ... Non merci.  

Sans Lacey dans les parages et seule, Blanche était déjà plus polie. Cela commençait bien.  

- Et un petit encas au cas où ?

- J'ai déjà ce qu'il me faut.

- Oh ? Je ne t'ai pas vue te servir dans le frigo pourtant.  

En voyant l'adolescente commencer à se tortiller, Sonia lui fit un grand sourire chaleureux. Elle ne comptait pas la gronder mais juste réussir à établir un contact avec elle.  

- J'ai... peut-être ramassé des pommes hier...

- C'est un très bon choix d'en-cas.  

L'expression de Blanche lui fit vite comprendre qu'elle était surprise de ne pas recevoir de remontrances. Sonia s'assit à côté d'elle et resta silencieuse... car elle savait qu'elle avait piqué la curiosité de sa cadette.

- Ca ne vous gêne pas ?

- Pourquoi ? As-tu volé ces pommes à quelqu'un ?

- Elles étaient dans le jardin communautaire. Je ne prends que ce dont j'ai besoin là-bas et je partage avec les filles.

- Alors je ne vois pas pourquoi cela me dérangerai, surtout qu'il doit y avoir beaucoup de plantes dans les parages.

- Oh ça oui ! Le climat est chaud et parfait pour faire pousser des agrumes. Je m'étonne par contre qu'il y ait tant de plants de sauge. 

- De la sauge ? Il me semble que ma mère s'en servait dans une recette de cuisine...

- Je peux vous en ramener si vous voulez.

- Ce serait adorable de ta part Blanche.  

Elles discutèrent encore durant cinq minutes, Sonia ne pouvant s'empêcher d'adorer le grand sourire que lui faisait Blanche, probablement ravie que l'on s'intéresse à elle et à ce qu'elle aimait faire. La jeune fille aimerait fabriquer de nouveaux meubles pour remplacer ces bureaux dans leur chambre qui ne sont pas très pratiques à ses yeux. Elle mentionna aussi Madeleine en disant que sa camarade était celle qui lui avait suggéré cette idée.  

Puis Lacey signala à Blanche qu'elle pouvait aller se doucher et la jeune fille s'excusa poliment avant d'aller se préparer.